Nous revenons encore une fois sur l’affaire Lambert, puisque dans sa décision du 5 juin 2015 la Cour européenne des droits de l’homme, tout en déclarant être « pleinement consciente de l’importance des problèmes soulevés » par cette affaire, « qui touche à des questions médicales, juridiques et éthiques de la plus grande complexité », nous semble avoir en fait sous-estimé son rôle, en adoptant une interprétation trop extensive de la marge d’appréciation de l’État ; même si la gravité des problèmes impliqués aurait dû la pousser à une prudence et une pondération extrêmes et à jouer pleinement son rôle. […]
La Cour de Strasbourg a nié, par douze voix contre cinq, aux requérants, les parents de Vincent Lambert, la qualité pour agir au nom et pour le compte de leur fils.
Le juge rappelle tout d’abord la notion de « victime » selon l’article 34 de la Convention (requêtes individuelles), telle qu’interprétée par sa jurisprudence, en soulignant l’autonomie par rapport aux notions de droit interne. L’intéressé doit pouvoir démontrer qu’il a « subi directement les effets » de la mesure litigieuse. La représentation de la victime est admise à condition que le représentant produise une procuration ou un pouvoir écrit (article 45, al. 3, du règlement) et qu’il démontre qu’il a reçu des instructions précises et explicites de la part de la victime.
Cette règle générale connaît des exceptions en cas de disparition ou décès de la victime dans des circonstances engageant la responsabilité de l’État, ainsi que dans le cas de victimes vulnérables pour des facteurs, tels que l’âge, le sexe ou le handicap, les empêchant d’agir directement devant la Cour. Dans ces cas, selon l’esprit de la Convention, dont le but est de garantir des « droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires », un tiers (normalement un proche, un Official Solicitor ou exceptionnellement une Organisation non gouvernementale) peut agir au nom et pour le compte de la victime, à condition que les critères suivants soient remplis : a) le risque que les droits de la victime soient privés d’une protection effective ; b) l’absence de conflit d’intérêts entre la victime et le requérant.
En appliquant ces critères au cas d’espèce, la Cour non seulement partage sans réserve la position du Conseil d’État français sur l’impartialité du Dr. Kariger, médecin en charge de Vincent Lambert, et le bien-fondé de la décision médicale motivée par la certitude (!) que le patient « ne voulait pas avant son accident vivre dans de telles conditions » – cela impliquant, d’après le juge, l’impossibilité d’établir une « convergence d’intérêts entre ce qu’expriment les requérants et ce qu’aurait souhaité Vincent Lambert » – mais la Cour entre inévitablement en contradiction avec ses considérations sur l’application du premier critère. Elle affirme qu’il n’y a « aucun risque que les droits de Vincent Lambert soient privés d’une protection effective », puisque « conformément à sa jurisprudence constante… les requérants, en leur qualité de proches de Vincent Lambert, peuvent invoquer devant elle en leur propre nom le droit à la vie protégé par l’article 2 » de la Convention.
Nous nous demandons : peuvent des requérants, dont on affirme la divergence d’intérêts (priorité au droit à la vie) par rapport à la volonté présumée de leur fils (droit à l’autodétermination et à refuser toute thérapie), assurer une protection adéquate et effective des droits de la victime directe ? En ayant considéré comme acquis la certitude sur la volonté présumée du patient, le juge n’a-t-il pas préjugé de la décision sur un point important, sinon déterminant, du fond de l’affaire ? […]
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Sommaire de l’article: 1. Introduction. – 2. La qualité pour agir au nom et pour le compte d’autrui. – 3. Les questions de fond : a) la violation alléguée de l’article 2 de la Convention ; b) la violation alléguée de l’article 6 de la Convention ; c) la violation alléguée de l’article 8 de la Convention. – 4. Considérations conclusives. L’opinion dissidente de cinq juges.